Il y a cinquante ans, Stanley Kubrick réalisait un film devenu culte. Il débutait par la découverte des outils par un groupe de primates à l’aube de l’humanité. Quatre millénaires plus tard, en 2001 alors qu’ils font route vers Jupiter, l’ordinateur HAL, doué de la parole et de l’intelligence (artificielle) demande à son équipage (humain) de réfléchir sur le sens de leur mission. Faisons un nouveau saut dans l’histoire pour nous retrouver en 2101 dans la peau de Lucie, une fringante centenaire.
Un monde de seniors
A mon réveil, HAL (eh oui, je suis une nostalgique des vieux films de science-fiction), mon proche aidant humanoïde – il me rend tellement de services que je ne veux pas le qualifier de robot – m’apporte mon patch de nutri santé à mon réveil. Il me trouve de joyeuse humeur. Après tout, si au siècle dernier les centenaires étaient encore une bizarrerie de la génétique, je n’en suis qu’à l’après-midi de ma vie. Au prix de quelques efforts (médicaux et financiers), je devrais pouvoir maintenir une activité physique et intellectuelle, encore quinze ou vingt ans.
J’ai bien conscience que comparé aux 10 milliards d’habitants que compte notre planète, je suis une privilégiée. La croissance de la population s’est fort heureusement ralentie depuis les années 2050. Elle est ainsi passée de 1.2% en l’an 2000 à seulement 0.1% de nos jours. La population de notre terre est maintenant stabilisée. Ceci s’explique par le taux de fécondité qui au niveau mondial est légèrement inférieur à 2, alors qu’il était encore de 2.5 il y a un siècle. Dans les années à venir, la population de la Terre est amenée à lentement se contracter. Ce qui, à n’en pas douter, est une bonne nouvelle.
40% de la population mondiale vit désormais en Afrique, qui fait ainsi jeu égal avec l’Asie. La part de l’Aie est passée en un siècle de 60% à 40%, surtout depuis le ralentissement des croissances démographiques chinoise et indienne. Désormais ce sont quatre milliards de personnes qui vivent sur chacun des deux continents. Avec presque 400 millions d’habitants, la population du Nigeria a dépassé celle des Etats-Unis.
En l’an 2000, 7% de la population mondiale était âgée de plus de 65 ans. Un siècle plus tard, les plus de 65 ans représentent 23% de la population. Dans cette situation il devient difficile de parler de pyramides des âges, du moins sous sa forme historique. De nos jours, nous observons plutôt une pyramide inversée. Pour l’Europe, je ne suis pas si vieille que cela, car si la population est encore jeune en Afrique, sur notre continent plus d’un tiers des habitants sont âgés de soixante ans et plus. L’âge médian dans le monde est de 42 ans, soit 13 ans de plus qu’au début du siècle dernier. Encore un peu, et avec mes cent printemps, je ferai presque figure de jeunette !
Le gouffre des dépenses de santé
Nous sommes donc dans un monde de séniors. Nombreux sont ceux qui s’inquiètent pour le dynamisme économique de nos pays. La silver economy est de loin le secteur dominant de l’économie. Malgré un contrôle très strict des dépenses par les pouvoirs publics, je comprends que consacrer plus de 50% du PIB aux dépenses de santé, comme c’est le cas aux USA, génère de graves polémiques au sein de notre société.
Dans mes jeunes années, la France consacrait 12% de son PIB à la santé au sens large. La santé absorbe désormais plus d’un tiers de notre PIB. Les séniors sont clairement responsables de la croissance phénoménale de la part du PIB consacrée à la santé et aux prestations de retraite. C’est en moyenne 25% du PIB dans les pays développés. La France est donc nettement au-dessus. Cette part est de 15% dans les pays en développement, dont la population est en général plus jeune. Il ne faut cependant pas oublier que moi aussi, je mets la main à la poche depuis longtemps. J’ai épargné tout au long de ma vie active pour pouvoir faire face au budget que je consacre aujourd’hui pour préserver ma santé et ma vitalité : c’est mon premier poste de dépense.
La planète malade
De nos jours les énergies renouvelables ont pris le relais des énergies fossiles, avec une part de marché de 80%. Une proportion inverse à celle que nous observions au début du siècle dernier. Pourtant les températures et le niveau des mers continuent d’augmenter. Cela va prendre de nombreuses années pour que la situation s’inverse.
Il faut vraiment aujourd’hui que je décide de l’endroit où je pourrai passer confortablement mes vacances. Aucun regret de ne plus pouvoir utiliser ce qui fut pendant longtemps notre maison de famille du bord de mer. L’élévation moyenne du niveau de la mer d’un centimètre par an au cours du siècle passé a eu raison de notre belle maison. Ironiquement nous vantions sa situation « les pieds dans l’eau » (aujourd’hui elle aurait de l’eau jusqu’à la taille !!!).
La hausse de la température de plus de trois degrés sur cette même période rend le climat du sud de la France, difficilement supportable. Comme dans une très grande partie de l’Europe méditerranéenne. Quand l’on pense qu’à Paris en juillet et en août, il fait désormais aussi chaud qu’à Fez au Maroc au début du vingt-et-unième siècle. Il nous faudra une grande maison pour recevoir les quatre générations de notre famille. Et bientôt cinq à ce que m’en dit HAL qui interprète en permanence tous les signaux faibles émanant des réseaux sociaux.
Alors, non aucun regret et je pense que HAL aura anticipé mon souhait. Celui de nous trouver une jolie propriété jouissant d’un climat sec et méditerranéen dans l’Essex, au nord-est de Londres. Nous saurons profiter des bons crus locaux, qui ont détrôné bordeaux et bourgognes de jadis. Eux qui n’ont pas pu résister aux profonds bouleversements climatiques.
HAL aura sans aucun doute pensé à vérifier la qualité de l’air dans cette région, mais pas trop d’inquiétude. Où trouvons nous la grande majorité des plus de 50 millions de décès annuels prématurés liés à la pollution de l’air ? En Inde, en Asie et dans des pays comme l’Ukraine, la Biélorussie ou le Pakistan. Je dois cependant faire attention, car les premières victimes sont les jeunes enfants et les personnes âgées. La qualité de l’air s’est malgré tout bien dégradée. Elle entraine dans nos contrées dix fois plus de décès qu’il y a un siècle.
Les progrès de la science n’ont pu contenir le nombre des victimes de catastrophes naturelles, pandémies et autres crises sanitaires. L’homme malmène durement la planète. Deux millions de personnes meurent chaque année à la suite d’une catastrophe naturelle contre 400 000 il y a un siècle. Mais le risque annuel de décès lié à une catastrophe naturelle n’est que d’un sur cinq mille. Comme cela était le cas au début du vingt-et-unième siècle, les intérêts particuliers en ce vingt-deuxième siècle l’emportent encore trop souvent sur l’intérêt général.
Au moment de m’endormir, je pense avec angoisse qu’il est toujours aussi difficile de convaincre l’humanité de préserver notre fragile écosystème. Dans quel état sera la planète que nous léguerons aux futures générations ? Il n’y aura ni vie sur Jupiter ni renaissance sous forme d’un fœtus, comme dans le film de Stanley Kubrick. Il nous faut donc nous contenter de notre encore, mais pour combien de temps, bonne vieille planète terre.
Marc Sevestre
Sources : Contrepoints, ONU, UN Population Division, US Census Bureau, La Croix, Washington Post, Huffpost, MIT, Météo France, OCDE, World Health Organization, Wall Street Journal, Congressional Budget Office, FMI, Eurostat.