S’il est vrai que « gouverner, c’est prévoir », alors l’épisode pandémique récent laissera à beaucoup un goût amer dans la bouche. De multiples sondages et enquêtes mettent en avant la profonde angoisse ressentie par nombre de nos concitoyens depuis le début de la crise du Covid-19. Il ressort clairement de ces études que cette angoisse est directement liée à la perception que nous avons des dangers, présents et à venir, auxquels nos proches et nous-mêmes sommes exposés.
Un manque d’anticipation
Anticiper un prochain épisode pandémique, loin de renforcer la situation anxiogène du moment, peut au contraire apporter réconfort et apaisement. Un proverbe espagnol rappelle que « l’homme bien préparé au combat est à moitié vainqueur ». Alors, comment se préparer au prochain combat ? Nous l’avons vu, dans l’anticipation de la crise du Covid-19, l’État-providence a grandement failli à sa tâche. Comme de très nombreux pays, en dépit des sommes considérables consacrées à la santé de ses concitoyens, le virus qui s’est abattu sur la France a dramatiquement illustré la très grande impréparation des pouvoirs publics. Il est vrai que nous sommes confrontés à une crise sanitaire d’une ampleur exceptionnelle. D’autres états ont cependant mieux su répondre à la situation de crise et ainsi en limiter, plus que pour notre pays, son impact humain et financier.
Apprendre de ses erreurs
Les Anglo-saxons utilisent souvent une citation qui pourrait se traduire par « trompe-moi une fois, honte à toi, trompe-moi deux fois, honte à moi ». Alors, que retenir de la crise de ce début d’année avec la mise en hibernation du pays, générateur d’un très fort isolement social pour une grande partie de la population ?
Cacophonie sur les masques, absence d’équipements critiques dans les hôpitaux (respirateurs, sédatifs, dispositifs de protection), manque de tests viennent à l’esprit pour illustrer cette impréparation. En l’absence de vision commune du corps médical sur les bons protocoles de soins à adopter, les deux seules réponses mises en place par une grande partie de l’humanité furent : gestes barrières et confinement. Une partie de la population, les plus prudents et les plus fragiles, continueront à observer les gestes barrières avec une grande rigueur. Cela, tant qu’un vaccin capable d’enrayer la diffusion du virus ne sera pas mis sur le marché. De l’avis des experts, il faudra de 12 à 18 mois pour obtenir un tel vaccin et l’administrer à une large partie de la population mondiale. Nul ne sait si le virus deviendra saisonnier avec des mutations annuelles, ce qui ne permettrait pas la mise au point d’un vaccin permanent.
Le prix à payer du confinement
Le confinement, s’il a été efficace, est intenable dans la durée :
- prix économique astronomique (plus de dix pour cent de chute du PIB en 2020, un minimum d’un million de chômeurs supplémentaires, des faillites en cascade, une facture abyssale que nous réglerons sur de longues années),
- coûts indirects très lourds.
Lors de son intervention du 12 mars, le chef de l’Etat promettait que « tout sera mis en œuvre pour protéger nos salariés et pour protéger nos entreprises ». Il passe totalement sous silence l’impact social majeur du confinement qui se traduira par cinquante-cinq jours de mise à l’arrêt du pays. Isolement d’un grand nombre de séniors (EHPAD ou à domicile), renforcement de la précarité économique pour les plus démunis, interruption des soins critiques pour de nombreux malades, décrochage scolaire de nombreux élèves, surtout dans les milieux les plus défavorisés sont quelques-unes des traces les plus visibles.
Le confinement s’il a permis de ralentir la diffusion du virus et de sauver plusieurs dizaines de milliers de vies s’est fait à un prix inimaginable, renversant les dogmes macroéconomiques. Les plus cyniques ont calculé que pour une partie de personnes fragilisées et avec une espérance de vie réduite, nos gouvernants, pour ne pas risquer d’être accusés d’avoir contribué à l’édiction de règles indicibles de tri aux urgences, ont accepté de dépenser plus de deux millions d’euros par vie sauvée. En effet, 10% de baisse du PIB, c’est 200 milliards d’euros de manque à gagner. Si l’on accepte que 50 ou 100 000 vies aient été épargnées, alors chaque vie sauvée représente une facture de deux à quatre millions d’euros pour le pays.
Donc même en cas de remontée de l’épisode pandémique (le fameux taux Ro que tout le monde a appris à connaitre), un nouveau confinement généralisé semble difficilement envisageable.
Si tu veux la paix, prépare la guerre
Remettre l’économie à l’arrêt en cas de remontée du R0 à 2.5, comme cela était le cas en mars dernier, aurait des conséquences tellement fatales sur l’économie du pays que les plus vocaux des Cassandre n’osent pas exprimer. Dès lors, quelles mesures envisager pour se préparer au mieux ?
Le renforcement les gestes barrières et l’isolement des plus fragiles de nos concitoyens seront les premières mesures à adopter en cas de reprise pandémique. Tant que le nombre de « clusters » sera sous contrôle, il devrait être possible de les maintenir hermétiquement clos. Restreindre localement les déplacements, fermer les écoles temporairement, bien qu’économiquement et socialement problématiques, reste acceptables. Aller au-delà, reprendre un confinement strict, peu de pays oseront s’engager sur une telle voie. Le risque de rejet social, la crainte de désobéissances civiques massives devraient l’emporter sur la raison sanitaire.
Aussi laisser filer la pandémie, comme un nombre limité de pays l’ont entrepris avec des fortunes diverses, accepter un taux élevé de mortalité au sein de la population risque d’être la seule réponse économiquement acceptable dans l’attente de la mise au point d’un vaccin ou d’une thérapie efficace.
Une situation difficile pour les personnes à risque
Il n’existe pas d’autre solution pour nos concitoyens fragilisés, les plus âgés d’entre nous, les personnes atteintes de risques aggravés (obésité, comorbidité) que de se résoudre à une nouvelle longue période d’isolement. Cette douloureuse décision devrait résulter d’un choix volontaire. Il est bien difficile dans nos démocraties occidentales, particulièrement en France, d’ostraciser une partie de la population en introduisant des mesures de coercition visant des groupes spécifiques. La légitimité d’une telle mesure risquerait fortement d’être invalidée.
Profitons de l’accalmie, des beaux jours pour se préparer à affronter au mieux les prochains mois, soit que la pandémie se calme, soit qu’elle reprenne. Dans la mesure du possible rendons notre habitat le plus confortable possible, ne repoussons pas à demain les travaux indispensables. Achetons les produits les plus nécessaires, ceux dont l’absence a été la plus critique pendant le confinement. Le maître mot est donc anticipation. Hélas, pour nos concitoyens financièrement les plus démunis, l’appel à l’anticipation devrait rester lettre morte. Comment effectuer des dépenses de précaution, quand il est déjà difficile de faire face aux engagements financiers au jour le jour ?
Pourquoi ne pas étendre la promesse présidentielle faite aux salariés à l’ensemble de la population ? Cela pourrait prendre la forme d’un impôt négatif. L’objectif est de rendre aux classes les moins aisées du pouvoir d’achat en échange d’un engagement d’effectuer certains types de dépenses de nature à affronter au mieux la crise pandémique. Le prix d’une telle mesure dans un pays lourdement endetté est très élevé. Cela ne représenterait cependant qu’une fraction de ce que coûterait à notre pays l’effondrement économique si d’aventure il fallait à nouveau imposer un épisode généralisé de confinement. Une telle redistribution, c’est aussi apporter une réponse à la crise de la demande, alors que les Français renforcent un niveau déjà élevé d’épargne de précaution.
Et maintenant ?
Le pire n’est jamais certain. Le virus est-il saisonnier ? Allons-nous être confrontés à une nouvelle vague pandémique à l’automne ? Des traitements efficaces vont-ils apparaitre ? Autant de questions auxquelles nous ne savons pas répondre. A n’en point douter, les prochains mois seront compliqués, mais nous sommes mieux équipés pour le combat. Notre manque criant de lits de réanimation est l’une des raisons principales de la durée et de la sévérité du confinement. Il semble injuste, dans un pays hyper centralisé, au taux d’imposition parmi les plus élevés du monde, de faire payer aux citoyens les incuries de l’Etat. Un homme averti en valant deux, espérons que la cruelle leçon sera comprise et que tous les enseignements en seront tirés. Se tromper deux fois conduirait à un désastre aux conséquences incommensurables.
Marc SEVESTRE