Comme chaque année, le 6 octobre, et ce depuis 2010, nous célébrerons la Journée Nationale des Aidants. Malgré le rôle critique joué par les proches aidants dans notre pays, cette journée devrait, hélas, passer relativement inaperçue. Sans la contribution massive des proches aidants, le pays serait dans l’incapacité totale de prendre en charge ses ainés, les personnes fragilisées ou souffrant d’un handicap.
Il y a en France (selon le baromètre des aidants Fondation April BVA) onze millions de proches aidants. Oui, plus d’un adulte sur cinq soutient régulièrement un proche de sa famille ou de son entourage. Les aidants permettent ainsi à la grande majorité des aidés de continuer à vivre dans le cadre familier de leur domicile.
La cinquième branche
Pour faire face aux dépenses toujours plus importantes liées à la perte d’autonomie des personnes âgées, dépendantes ou handicapées, la sécurité sociale a créé une nouvelle branche. Cette cinquième branche est définie par la loi du 7 août 2020. Elle est dédiée à l’autonomie des personnes âgées et handicapées. Elle est gérée par la Caisse Nationale de Solidarité pour l’Autonomie (CNSA).
Il n’est pas anodin de noter que cette nouvelle branche a vu le jour en pleine pandémie. Cette crise sanitaire a mis en évidence le rôle critique joué par les proches aidants. Elle a aussi permis à nos concitoyens de mesurer la triste réalité d’un grand nombre de structures dédiées aux séniors. Certaines ne sont guère plus que des mouroirs. Les résidents des EHPAD se sont trouvés isolés de leurs proches pendant de longues semaines. Beaucoup ont ainsi glissé dans la solitude, la dépression, la perte de motivation pour rester en vie.
Au cours des divers épisodes de confinement et de distanciation sociale que nous avons connus depuis maintenant dix-huit mois de crise sanitaire, de nombreuses personnes, relativement autonomes, se sont soudainement retrouvées isolées. La peur de contracter le virus à conduit les plus fragiles, en grande majorité des séniors, à couper le contact avec le reste du monde. Ils se sont soudainement trouvés en situation de dépendance. Leurs familles, amis, voisins ont dû, lorsque cela était possible, se mobiliser pour assurer leurs courses, les aider à maintenir le lien indispensable avec le monde extérieur.
Mesurer la contribution des proches aidants
La crise du coronavirus a mis en lumière l’urgence d’améliorer très significativement la prise en charge de nos ainés.
Notre pays compte 700 000 résidents dans les EHPAD pour une population totale de plus de 6.5 millions de soixante-quinze ans et plus. Sans les aidants, le sort de près de 90% de nos ainés qui demeurent le plus longtemps possible, selon leurs souhaits, dans le cadre familier de leur domicile, serait bien souvent critique.
Le nerf de la guerre reste bien entendu le financement. Le coût officiellement estimé de la prise en charge des personnes âgées dépendantes est de 30 milliards d’euros. 12.2 milliards d’euros pour la santé. 10.7 milliards d’euros au titre de la dépendance. 7.1 milliards d’euros pour l’hébergement.
Cela représente 1.4% du produit intérieur brut. Près de 80% de ces dépenses sont financées par la Sécurité sociale. Le reste à charge pour les ménages est estimé à 6 milliards d’euros. Ces dépenses vont très fortement augmenter au cours des prochaines années. Cela est bien entendu lié au vieillissement de la population. En 2040, près de 15% de la population aura plus de 75 ans contre 9.1% en 2015.
Sous-estimation de la réalité
La réalité est en fait nettement supérieure. Comme le travail des proches aidants est considéré comme une tâche domestique, donc non rémunérée, sa valeur n’est pas prise en compte dans la comptabilité nationale. Selon une étude du service Prévention et Innovation sociale de la Macif-Mutualité[1] « La contribution des aidants – mesurée par la valorisation du nombre d’heures d’aide apportées à leurs proches – serait donc comprise entre et 12 et 21 milliards d’euros ». L’auteure, Sandrine Chambaretaud, reconnait que « Cette estimation ne traduit cependant qu’une partie des coûts liés à l’aide ».
Pour sa part, le laboratoire d’économie et de gestion des organisations de santé de l’université de Paris-Dauphine, dans une étude de 2018, estimait que la contribution des proches aidants était de 11 milliards d’euros par an d’économies pour la société.
Au total, les coûts liés à la prise en charge des séniors dépassent largement 50 milliards d’euros. Tel serait le coût de la dépendance si l’on incluait la valeur marchande des prestations rendues par les proches aidants.
Le monde du travail
Dans le monde du travail, des chiffres très similaires sur l’importance des salariés aidants circulent. En fonction de l’âge moyen de l’effectif, un salarié sur cinq ou six se trouve en situation d’aidant. Ce devrait être en moyenne un salarié sur quatre en 2030. Ainsi, plus de 60% des onze millions d’aidants sont en activité. Plus l’âge moyen des effectifs est élevé, plus la proportion d’aidants augmente.
Difficile de concilier vie active, vie familiale et support d’un ou de plusieurs aidés. Un grand nombre de salariés qui montrent dans leurs entreprises des signes évidents d’épuisement, de démotivation, d’absentéisme ont la très lourde charge d’aider des proches. Cela se traduit par une très grande fragilité personnelle et professionnelle de cette population.
Prise en compte des proches aidants en entreprise
Face à l’ampleur du phénomène, les entreprises se doivent d’adresser la situation. La prise en compte de la vulnérabilité des salariés est un enjeu important dans le cadre de la démarche Responsabilité Sociale des Entreprises (RSE).
Cette reconnaissance de la vulnérabilité des aidants actifs se retrouve dans la loi PACTE de mai 2019. Dans le cadre du volet dimension sociale, en matière de la politique de rémunération et des avantages, des aides spécifiques peuvent être accordées aux proches aidants.
Dons de RTT
Les médias se sont largement fait l’écho des dons de RTT. La loi Mathys de mai 2014 permet aux salariés volontaires de donner des jours de congés à l’un de leurs collègues, proche aidant ou ayant un enfant gravement malade. Et en 2015, la loi a été étendue à la fonction publique.
Depuis février 2018, le don de jours de RTT peut se faire. Notamment au profit de proches aidants de personnes en perte d’autonomie ou présentant un handicap. Cela peut concerner un membre de la famille (enfant, conjoint, descendant, parent collatéral jusqu’au quatrième degré). Entre dans le champ d’application de la loi une personne âgée ou handicapée. Il faut que cette dernière réside ou entretienne des liens étroits et stables avec le salarié.
Congé répit
Le congé de proche aidant permet de s’occuper d’une personne handicapée ou faisant l’objet d’une perte d’autonomie d’une particulière gravité. Ce congé est accessible sous conditions (proximité sociale avec la personne aidée qui doit résider en France) et pour une durée limitée. Ce congé est ouvert pour tous les salariés. Il est intéressant de noter qu’il peut s’agir d’une personne âgée ou handicapée avec laquelle le salarié réside ou avec laquelle il entretient des liens étroits et stables. Il faut aussi que l’aide apportée le soit de manière régulière et fréquente.
Le congé répit vise très précisément les proches aidants. Il est ainsi précisé que le salarié intervient à titre non professionnel pour accomplir tout ou partie des actes ou des activités de la vie quotidienne. Notons qu’une approbation d’urgence peut être accordée en cas de situation de cris nécessitant une action urgente du salarié. Si le législateur prévoit ce cas de figure, c’est qu’il est fréquent. Ceci est précisément l’objet des contrats d’assistance proche aidant qui permettent de mobiliser très rapidement des aidants professionnels dans les situations d’urgence.
Accords de branche
De nombreuses autres pistes peuvent être envisagées. Les salariés dans de nombreux secteurs ont des horaires décalés ou travaillent loin de leur domicile. Dès lors, si un conjoint, un parent, un enfant est malade ou hospitalisé, le salarié – et ses proches – connait une situation très délicate, anxiogène et aussi fortement culpabilisante. Cela contribue également à l’absentéisme au travail. Dans bien des cas, le salarié n’a pas d’autre choix que de prendre un « congé », plus ou moins déguisé (pouvant même aller jusqu’à un arrêt maladie de complaisance).
Assistance Proche Aidant
Dans le cadre d’une politique de bien être au travail, et plus encore dans les emplois qualifiés de « pénibles » ou demandant des déplacements, il est possible d’inclure au niveau de l’entreprise ou de la branche une offre d’assistance proche aidant. En cas de maladie ou d’hospitalisation du salarié ou de son conjoint, une telle offre permet de prendre en charge par des aidants professionnels, les parents âgés, le conjoint, les jeunes enfants. Le temps de l’indisponibilité des personnes ainsi couvertes, une aide-ménagère ou une aide à la personne remplace l’aidant auprès de ses proches aidés.
Il s’agit dès lors d’une aide en nature, peu coûteuse pour l’entreprise, mais rendant un service inestimable aux salariés aidants. L’absentéisme et le bienêtre au travail bénéficient grandement d’un tel avantage inscrit dans la politique de prévoyance sociale de l’entreprise.
Un immense remerciement
Les aidants eux-mêmes sont à risque et peuvent disparaitre avant leurs aidés. Une situation doublement dramatique. En effet, les aidés ne sont pas que des parents âgés ou un conjoint dépendant. Ce sont aussi des enfants souffrant d’handicaps, des amis ou voisins fragilisés. Des réponses de longues durées doivent aussi être envisagées (contrats dépendances).
Alors, le 6 octobre, ouvrons grand nos fenêtres pour applaudir les aidants. Et ainsi les remercier de l’immense travail invisible qu’ils rendent avec dévouement aux millions d’aidés. Sans eux, bien plus que la plus grande vague épidémique que pourrait générer le covid, le désengagement des aidants se traduirait par la totale submersion du système hospitalier et des structures d’accueil pour les personnes fragilisées que compte notre pays.
Marc SEVESTRE