Alors qu’une énième épidémie de Covid sévit en France, les Pouvoirs publics peinent à convaincre la population d’adopter les mesures de protection minimales. Les Français ont appris à vivre avec le virus. Ils ne le craignent plus, et pourtant ! Les recommandations de l’exécutif pour se protéger contre la triple vague épidémique (coronavirus, grippe, bronchiolite) ne rencontrent que peu d’échos au sein la population. Nos compatriotes, en grande majorité, ont occulté la maladie. Une nouvelle vague épidémique n’est plus un sujet d’inquiétude. Un mal en chassant un autre, ne conviendrait-il pas de se pencher sur un thème plus sournois, mais potentiellement annonciateur de profonds bouleversements, celui du vague à l’âme ?
Une crise qui ne fait plus peur
Dépassé les gestes barrières. Oubliées les longues heures passées sur internet au paroxysme de l’épidémie à la recherche du Graal, le vaccin salvateur – avant tout l’ARN Messager. Terminées les files interminables devant les pharmacies et les laboratoires dans l’attente d’un test. Impensable la perspective d’un nouveau confinement. Inconcevable la surenchère sur les masques chirurgicaux et FPP2.
Saugrenue l’archaïque dichotomie entre biens et services de première nécessité et tout le reste, inutile, futile et pouvant porter atteinte à la salubrité publique. Inacceptable un retour à l’isolement de nos ainés dans leurs maisons de retraites et autres EHPAD. Déchirés à jamais les certificats de sortie ou de délimitation du rayon de déplacements. Abolie la longue litanie des interdits faisant fi des libertés individuelles (couvre-feu, réunion avec des proches, libre accès aux bars, restaurants, cinémas, théâtres et autres lieux de loisirs). Finies les restrictions aux voyages internationaux, sauf pour quelques rares destinations dont les gouvernements sont souvent jugés doctrinaires pour ne pas dire totalitaires.
Et pourtant…
Les experts nous le disent : Le SARS-CoV-2 à l’origine de la pandémie mondiale n’est nullement éradiqué. Bien au contraire, il est désormais endémique. Il ne faut pas non plus en minimiser la dangerosité. Avec des pointes dépassant 100 000 cas recensés certains jours, alors que les tests ne sont plus aussi massifs, il n’est pas possible d’en ignorer son impact sur le système sanitaire. Certes, la forme actuelle du virus n’est plus aussi virulente. Les médecins parviennent à éviter l’évolution vers les formes les plus graves. L’on enregistre encore une moyenne plus de cent décès quotidiens.
A date et pour la France seule, le coronavirus a fait de 160 000 morts. Ce chiffre est à considérer avec précaution. Un grand nombre de victimes étaient déjà très fragilisées par des facteurs de comorbidité. Pour ces malades, le Covid n’a donc été qu’un accélérateur de la fin de vie. Au sein des maisons de retraite, la cause du décès a très fréquemment été attribuée au virus pour les grands seniors, sans autre forme de recherche. Pour toutes ces raisons, les statistiques peuvent pécher par excès.
Près de mille cinq cents lits de réanimation sont occupés par des malades du Covid, alors même que les épidémies de grippe saisonnière et de bronchiolite pèsent lourdement sur le système hospitalier. Nous sommes à la merci d’une évolution vers une forme plus contagieuse du Covid. Plus grave encore serait l’émergence d’une souche résistante aux vaccins disponibles. Même rapidement modifiable, il faudrait plusieurs mois pour disposer en quantité suffisante des vaccins à ARN Messager. Le système hospitalier, déjà au bord de la rupture, ne serait plus en mesure d’absorber une arrivée massive de malades.
L’économie malade du Covid
Il n’y a pas que la santé des Français qu’il nous faut prendre en compte. L’économie aussi est mise à rude épreuve. Pour nombre d’observateurs, elle est au bord de la rupture. Après le « quantitative easing », l’argent qui coule à flots au nom du « quoi qu’il en coûte », le retour à plus d’orthodoxie financière est rude. Guerre en Ukraine, dérèglements climatiques, envolée du prix de l’énergie et des matières premières, ruptures des chaines d’approvisionnement, de nombreux facteurs concourent à l’inflation. Il est vrai que déverser des milliards d’euros, de dollars et autres devises sans contrepartie physique, c’est ouvrir la porte à la dépréciation de la monnaie.
La dette publique, près de trois mille milliards d’euros pour la France (proche de 115% du PIB annuel – plus que tous les biens et services produits par l’ensemble des acteurs économiques au cours d’une année), est aussi porteuse de tensions. La hausse des taux d’intérêt pénalise tout autant l’Etat, les entreprises que les particuliers. Quand toutes les économies creusaient de concert le déficit pour contrer les effets économiques de la crise sanitaire, nul ne bronchait. Désormais, les pays européens les plus vertueux n’hésiteront pas à rudement tacler les champions du déficit (Europe du Sud). Accumuler des déficits toujours plus importants des comptes publics, c’est aussi léguer une dette abyssale et inexpugnable aux générations futures.
Un atterrissage brutal
Les prodigalités de l’Etat pendant la crise sanitaire ont permis d’éviter les faillites en cascade. Nombre de sociétés en piètre forme ont été maintenues artificiellement à flot grâce au recours massif aux crédits généreusement octroyés dans le cadre du PGE (Prêt Garanti par l’Etat). Cependant, l’on ne transforme pas le plomb en or. Avec le retour à plus d’orthodoxie financière, la dure réalité se fait jour. Les faillites, évitées un temps, vont retrouver le niveau pré-Covid (et le dépasser pendant la période de rattrapage). L’emploi devrait en souffrir. Si des activités, parmi lesquelles la santé, la restauration et l’hôtellerie, le transport, les services à la personne peinent à recruter, la péréquation est très faible entre les différents secteurs.
Pour les ménages, la hausse des prix se traduit bien souvent par une contraction du pouvoir d’achat. Les salaires, les retraites, la rémunération de l’épargne peinent à s’ajuster sur le niveau de l’inflation. Moins de revenus disponibles conduisent à une baisse de la demande. Les entreprises sont elles aussi confrontées à une forte hausse des prix (matières premières, énergie, composants électroniques, transport). Les délais de production s’allongent du fait des goulots d’étranglement liés aux lenteurs ou aux ruptures d’approvisionnement rencontrées chez les fournisseurs historiques (Asie). Les anticipations des entreprises sont donc orientées à la baisse. Il en résulte un moindre investissement dans les outils de production. C’est donc une crise tant de la demande que de l’offre qui pourrait impacter la croissance économique. Par ailleurs, revendications salariales, réforme des retraites, revalorisation du pouvoir d’achat figurent parmi les nombreuses raisons qui font craindre l’exacerbation des tensions sociales.
Tout se passe en Chine
Le ralentissement économique de l’année 2022 pourrait évoluer vers une récession touchant de nombreuses économies, trop souvent européennes. Certes, l’abandon de la doctrine du « zéro-Covid » en Chine, pourrait contribuer à relancer l’économie de la deuxième économie mondiale et partant l’un des principaux moteurs économiques de la planète.
Cependant l’explosion des cas de Covid pourrait aussi contraindre ce pays à remettre en place des mesures drastiques de restrictions sanitaires. Cela porterait un coup sévère à ses prévisions de croissance économique, et impacterait par ricochet l’ensemble de la planète. La flambée épidémique de la Chine pourrait aussi se traduire par l’émergence de nouvelles souches hautement pathogènes.
Crise boursière et énergétique
La décorrélation des places financières par rapport à l’économie réelle ne peut pas se poursuivre indéfiniment. Les arbres ne montent pas jusqu’au ciel. Les multiples de valorisation devraient continuer de fléchir. Le principe de réalité prévaloir. Un bon exemple de ce retour aux fondamentaux est donné par la débâcle des cryptomonnaies et d’une bonne partie de l’écosystème gravitant autour de ces valeurs erratiques et essentiellement spéculatives.
Plus prosaïquement, l’hiver risque d’être délicat pour les populations les plus fragilisées. La très forte hausse des produits et services les plus élémentaires pèse plus lourdement sur les plus défavorisés. Il nous faut craindre les délestages pour ne pas dire « coupures d’électricité ». A nouveau, l’impact sera le plus dramatique sur les malades reliés à des machines, au premier rang duquel se trouvent nos séniors.
Changement de paradigme
Au-delà des divers ajustements observés sur le court terme, il y aura bien un avant et un après-Covid. La crise sanitaire signe le début d’une ère nouvelle. Elle représente la césure entre le monde d’hier et celui d’aujourd’hui. Une porte s’ouvre. Elle laisse entrevoir le mode de vie qui pourrait être le nôtre de demain. Une nouvelle forme d’organisation, un rapport différent les uns aux autres, une conscience écoresponsable permet d’appréhender notre avenir différemment.
Des notions longtemps ignorées, mais aussi l’émergence de nouveaux concepts viendront façonner notre quotidien. Nous apprendrons à vivre avec le télétravail, la relocalisation, la décarbonisation, la prise en compte des contraintes climatiques, la RSE[1], les entreprises à mission, le « big quit » (départ en masse de salariés) et le « silent quit » (désengagement des salariés) ou bien encore le produire local et la préférence nationale.
Du côté de l’Europe
Et l’Europe dans tout cela ? L’on a tôt fait d’oublier que la crise sanitaire coïncide avec le 1er février 2020, date de la mise en œuvre du Brexit. Le divorce fut ainsi scellé entre le Royaume-Uni et l’Union Européenne. Une crise aussi aigüe que la pandémie à ses débuts représente un véritable test pour éprouver l’ancrage des pays et de leurs citoyens au sentiment d’appartenance et de solidarité européenne. Le débat n’est pas encore tranché. La question de la place qu’il convient d’accorder au fédéralisme européen demeure un thème central du débat politique. Il oppose les tenants du plus d’Europe aux eurosceptiques.
Aux heures les plus graves de la crise, l’entraide européenne a connu des hauts et des bas. Le pire (le chacun pour soi dans la recherche de masques, des décisions sanitaires et économiques disparates) a côtoyé le meilleur (achats groupés de vaccins, mais pas toujours aux conditions les plus favorables, transferts de malades entre pays).
Face au tableau sinistre du triptyque Epidémie, Guerre, Inflation/récession (i.e. stagflation), nombreux succombent au pessimisme. Ils se rangent du côté des cassandres qui prédisent qu’une crise économique succèdera à la crise sanitaire. De bien sombres perspectives au pays des lumières. Et justement ! Qui sont les descendants des frères Lumière, susceptibles de réenchanter notre bien morose quotidien ? Ne cédons pas trop facilement à la sinistrose. Balayons ce vague à l’âme. Il nous faut garder foi en l’avenir, miser sur le dynamisme et la créativité des générations montantes. Ce sont elles qui réveilleront et transformeront notre pays. Ces acteurs du changement qui vont permettre à la France (et plus largement aux membres de l’UE) de retrouver l’esprit des « Trente Glorieuses[2]» en devenant la « wake-up nation »[3].
Marc SEVESTRE
[1] Responsabilité Sociale des Entreprises
[2] Période allant de 1945 à 1975, marquée par un fort dynamisme économique et culturel de la France.