Il est paradoxal alors que l’on célèbre de toutes parts l’allongement de la durée de la vie, la réduction de la semaine de travail ou encore la civilisation des loisirs, que l’on se plaigne à tout moment du manque de temps. La technologie n’est-elle pas censée nous rendre la vie plus facile, plus efficiente, nous faire gagner du temps ? Le temps nécessaire à la fabrication de la plupart des biens a fortement diminué. Allongement de la durée de vie, période de retraite étendue, diminution du temps de travail,… la transformation de la durée, plus longue ou plus courte, semble parée de toutes les vertus. Est-ce bien certain ?
Durée de vie : l’allongement
Si l’on s’en tient à la seule population féminine, l’on constate qu’en deux siècles l’espérance de vie a plus que doublé. Au début du dix-neuvième siècle l’espérance vie à la naissance pour une femme était de 39 ans. Elle est passée à 45 ans en 1900, à 69 ans en 1950. Puis à 83 ans en l’an 2000 et à 85 ans en 2015.
Même si la France détient le record de longévité avec Jeanne Calment, décédée en 1997 à l’âge de 122 ans, notre pays n’occupe que le neuvième rang pour la durée de vie à la naissance. Les trois premières marches du podium sont occupées par le Japon, la Suisse et Singapour. Le gain d’espérance de vie d’un français à l’âge de 65 ans continue de s’accroitre. Entre 1994 et 2017, ce gain a été de 2.3 ans pour les femmes et de 3.1 ans pour les hommes.
L’espérance de vie à la naissance d’une Française approchera les 90 ans en 2050. Au-delà, nous hésitons à formuler des prévisions, car trop de facteurs peuvent menacer l’équilibre de la planète. Et nous ne savons pas sur une longue période quel « cygne noir* » pourrait surgir. Pandémie, changements climatiques, crises économiques majeures et autres évènements hors-normes,… ?
Une corrélation existe entre l’allongement de la durée des études et celle de la vie. Il existe un écart de durée de vie de 7.5 années entre les hommes diplômés du supérieur et ceux n’ayant aucun diplôme. Un niveau d’études supérieures est fortement corrélé au revenu moyen. C’est donc le niveau de vie plus élevé qui explique la plus grande longévité des plus diplômés.
Quelle sera la dynamique d’un pays quand en 2030 les plus de 65 ans seront plus nombreux que les moins de 20 ans ?
Diminution de la durée du travail
Au dix-huitième siècle l’on travaillait « tant que l’on y voit », du lever au coucher du soleil. La durée légale sera réduite à 12 heures par jour au milieu du dix-neuvième siècle. En 1900, la durée est fixée au maximum à 70 heures par semaine. La semaine de quarante heures est le symbole du Front Populaire avec l’introduction des deux semaines de congés payés. En 1997 est instaurée la semaine de 35 heures, avec les RTT s’ajoutant au minimum légal de cinq semaines et les 11 jours fériés. La civilisation des loisirs a remplacé celle du travail. Avec les robots industriels et de services pour les fonctions les moins qualifiées et l’intelligence artificielle pour les tâches à forte valeur ajoutée, allons-nous assister à une destruction nette d’emplois ? Nous passerions alors de la civilisation des loisirs choisis à celle des loisirs contraints.
Aujourd’hui, l’on ne doit plus « gagner son pain à la sueur de son front ». Acheter une baguette représente à peine cinq minutes d’un salaire moyen. En 1800, pour un poids de pain équivalent à une baguette, il fallait 45 minutes de salaire. En prix actuel, le kilo de pain serait facturé vingt euros. Sans aller chercher aussi loin, les premiers écrans TV plats en l’an 2000 étaient vendus l’équivalent de 18 000 €… pour passer à 3000 € en moins de dix ans ! Et désormais à cent euros pour les modèles de base.
Le coût de la retraite
L’allongement de la durée de vie se traduit par une très forte progression du nombre de retraités. La France compte 17 millions de retraités pour 30 millions d’actifs. C’est un ratio de 0.57 retraité par actif. Ce ratio continuera de se dégrader. La pyramide des âges et l’allongement de la durée de la vie en sont les causes. La durée moyenne d’espérance de vie pour une personne partant en retraite aujourd’hui est de 27 années.
En matière de retraite, le premier pilier (l’Etat) et le deuxième pilier (l’entreprise) ne peuvent plus suffire. C’est le troisième pilier (l’effort individualisé) qui est amené à nécessairement progresser le plus dans le temps. Le recul de l’âge de départ à la retraite est inéluctable. Si les travailleurs les plus âgés peinent à trouver un emploi, c’est le niveau des prestations de retraites qui diminuera pour des droits incomplets. En pastichant Benoite Groult**, nous pourrions ainsi dire que « la retraite est si longue, qu’il ne faut pas la commencer trop tôt ».
Le succès de l’assurance vie avec plus de 1600 milliards d’euros d’encours s’explique en grande partie par l’épargne de précaution que se constituent les Français. La volonté d’accès à l’immobilier que l’on constate par une croissance du nombre de transactions (près d’un million de transactions sur douze mois glissants à fin juillet 2018), en particulier chez les primo-accédants, fait partie de la même logique : se prémunir pour ses vieux jours.
La magie des intérêts composés
Il n’est jamais trop tôt pour préparer sa retraite. Fort heureusement, par la grâce des intérêts composés***, la longue durée joue en faveur des épargnants (il importe cependant d’isoler l’inflation). En divisant 72 par le rendement attendu, vous saurez combien de temps il vous faudra pour doubler votre capital. Ainsi avec 1000 euros placés à 4%, il vous faudra 72/4, soit 18 ans pour doubler votre capital (et seulement 12 ans à 6%). Ainsi après 18 années, les 1000 euros sont devenus 2000 et en renouvelant ce placement, 18 ans plus tard, les 2000 euros en vaudront 4000.
Si vous faites un tel effort année après année, les générations s’empilant, vous accumulerez un capital appréciable pour votre retraite. Il y a donc un réel avantage à démarrer très tôt l’effort d’épargne en vue de la retraite et rechercher les formules de retraite par capitalisation. Les Grecs antiques disaient que « le travail de la jeunesse fait le repos de la vieillesse ».
La progression de la dépendance
L’allongement de la durée de la vie a pour corollaire une très forte progression de la dépendance. Le coût de la dépendance est aujourd’hui de plus de 40 milliards d’euros. Cela a conduit le présent gouvernement à annoncer la création d’une cinquième branche de la sécurité sociale. La charge financière des conséquences du grand-âge, tant en Ehpad qu’à domicile, est très lourde. Donc elle va demander des efforts très importants pour le financement de cette branche. Doit-on rendre l’assurance dépendance obligatoire dès 45 ans ? Il y a ce que Le Point, dans son numéro du 18 octobre 2018, avec en couverture la question « Peut-on encore vieillir en France » appelle un « mur gériatrique ». Le coût mensuel en Ehpad est en moyenne supérieur de 1000 euros à la retraite mensuelle.
L’explosion des frais de soins
Le vieillissement de la population se traduit par une très forte progression des frais de soins.
Les dépenses de santé représentent 11% du PIB pour un total de 200 milliards d’euros en 2016. Le reste à charge est de 15 milliards d’euros pour les ménages. Au total la santé représente un coût annuel de 3000 euros par habitant.
L’augmentation du reste à charge pour les frais de soins (tout comme la croissance du point d’indice des pensions de retraite inférieure à l’inflation et à la progression du coût de la vie) ne suffit pas à enrayer le déficit des organismes sociaux, malgré une pression toujours plus forte sur le budget de l’Etat. Cette augmentation du reste à charge, qui est appelée à se poursuivre, pèse fortement sur les proches aidants. Et la première touchée est la génération pivot : celle qui a à la fois des grands enfants ou même des petits-enfants et des parents âgés.
Presque un français sur cinq apporte une aide régulière et bénévole à un proche (famille, ami, voisin) âgé ou en situation de handicap. Cette charge est très lourde pour les proches aidants. Les conséquences sont importantes pour le moral de ces aidants, leur santé, leur famille et leurs finances. Pour les 75% d’aidants familiaux de moins de 65 ans (dont une majorité de femmes) la pression est souvent insoutenable.
Société de consommation et durée de vie des produits
Nous ne pouvons pas occulter l’impact négatif que peut avoir l’homme confronté aux phénomènes de durées. Nous pensons à la durée de vie très courte de certains produits électroniques ou ménagers qui intègrent dans leurs conceptions une obsolescence programmée. Que dire de ces produits quasi mort-nés (téléphone portable) fabriqués avec des composants à durée de vie très longue (matière plastique qui comme les bouteilles peuvent mettre jusqu’à mille ans pour se décomposer )? Ces déchets sont à l’origine du septième continent de plus de 3.5 millions de km2 entre le Japon et la Californie. Soit plus de six fois la France.
Comment gérer la durée de vie des déchets radioactifs (jusqu’à plusieurs millions d’années) ? Des dizaines de milliers d’années après leur apparition sur Terre, que faire face à la disparition de nombreuses espèces d’animaux, d’insectes et de végétaux ? Selon le récent rapport du WWF, 60% des animaux sauvages ont disparu de la surface de la Terre en seulement 44 ans. A l’exception de l’homme, l’on assiste sur cette période à la disparition de plus de 50% des vertébrés.
Que ces propos sur la durée ne nous fassent cependant pas oublier l’importance du moment présent ! Car, comme le rappelle avec grande justesse Frank Kafka : « Celui qui pourvoit uniquement à l’avenir est moins prévoyant que celui qui ne pourvoit qu’à l’instant, car il ne pourvoit même pas à l’instant, mais seulement à sa durée ».
Marc SEVESTRE
Notes :
Sources : INED, INSEE, Wikipédia, Le Point, Notaires.fr, FFSA, WWF
* Référence au livre The Black Swan de Nassim Nicholas Taleb (publié en 2007) qui montre comment lorsque l’on voit passer une longue série de cygnes blancs, l’on s’attend naturellement à anticiper que le prochain sera aussi blanc et personne ne prévoit que c’est un cygne noir qui pourra se présenter.
** Benoite Groult parlait, elle, de la vieillesse . Elle en savait quelque chose, étant décédée à l’âge de 96 ans.
*** Les intérêts composés sont une suite géométrique de la forme Vf = Vi x (1+p)a . Vf est la valeur finale, Vi la valeur initiale, p le taux d’intérêt et a le nombre de périodes, années dans notre cas.