Les récentes annonces sur les avancées majeures dans la mise au point d’un vaccin pour traiter le Covid-19 (SARS-CoV-2) apportent l’espoir d’une sortie de crise prochaine. Cela pourrait marquer la fin du stop-and-go sanitaire, seul à même de contenir la vague pandémique menaçant de submerger nos hôpitaux. Tantôt qualifiée de yo-yo, tantôt de montagnes russes, cette alternance de périodes de semi-liberté et de restriction conduit tout droit à l’effondrement économique du pays. Faute d’un vaccin, même s’il nous faut apprendre à vivre avec le virus, il y a peu d’espoir d’un rapide retour à un nouveau normal. Le vaccin est dès lors notre seul espoir d’espérer pouvoir enfin sortir de la triple crise (économique, sanitaire, sociale) qui touche une grande partie de notre planète.
La violence de la deuxième vague
Nous avons déjà exprimé nos doutes (1) sur la pertinence de nombreux modèles et scénarios à même de donner une vision réaliste de l’avenir. La survenue de la deuxième vague contribue à renforcer ce scepticisme. Tous nos dirigeants, épidémiologistes, scientifiques, médecins se disent surpris. Et désarmés par la puissance et la rapidité de la reprise pandémique. Qu’il s’agisse de flambée, de croissance exponentielle, voire de flambée exponentielle, la rapidité avec laquelle le virus s’est développé au cours du mois de septembre a pris tout le monde de court. Le couvre-feu n’a pas pu aller à son premier terme de quinze jours. Entamé le 17 octobre, un rendez-vous était pris pour en mesurer ses effets après deux semaines (clause de revoyure). Sans pouvoir attendre cette date, un deuxième confinement a dû être décrété. C’était dans l’urgence par le pouvoir exécutif dès le 29 octobre.
Des mesures insuffisantes
Gouverner, c’est prévoir. Le désamour, du moins, la crise de confiance, entre les Français et leurs dirigeants, semble se nourrir du fort sentiment d’impréparation. Les mesures semblent prises systématiquement avec un temps de retard. Ou alors, ce qui revient au même, le virus a toujours un coup d’avance, rendant inefficace la succession de décisions.
Après l’immense cacophonie sur les masques, la mise en avant des gestes barrières pouvait laisser croire que leurs stricts respects suffiraient à endiguer la progression du virus sur le territoire. L’absence de contacts rapprochés, la barrière des masques pour éviter les projections de gouttelettes, les mains débarrassées de microbes devaient contribuer à créer un rempart aseptisé. Un mur aussi illusoire pour repousser l’ennemi que la ligne Maginot le fut en son temps.
Durcissement drastique
Rétrospectivement, l’on peut s’interroger sur notre absence de clairvoyance. Pourquoi le tsunami médiatique qui se déchaîna au début de l’année 2020 pour quelques victimes dans une lointaine province chinoise ne nous a-t-il pas mis la puce à l’oreille ? L’inquiétude grandit devant l’ampleur des décisions de confinement sanitaires prises dans la province du Hunan. Nous ne prêtions qu’une oreille distraite au nombre de victimes qui progressait inexorablement. La prise de conscience du danger que représentait une potentielle pandémie massive est venue tardivement, mais soudainement. Tout s’est joué entre mi-février et mi-mars (2). En seulement quelques jours, la planète se trouva mise à l’arrêt. La minimisation de la gravité de la situation et le manque de transparence de la Chine n’aidèrent pas les autres nations à prendre conscience de l’ampleur de la menace.
Il devint évident que toutes les digues hospitalières allaient céder sous l’afflux des arrivées massives dans les centres d’urgence. Des mesures drastiques furent donc prises en ordre dispersé par des pays en total état d’impréparation. C’est ainsi qu’une grande partie de la planète se trouva brutalement plongée dans une cryogénisation économique et sociale. Elle avait pour objectif de geler la progression du virus.
Le calme avant la tempête
Avec l’arrivée des beaux jours et après des semaines de privation, en France, comme dans la plupart des autres pays, la sortie du confinement s’est accompagnée d’un relâchement des gestes barrières. Il est vrai que les experts n’étaient pas d’accord entre eux. Certains pensaient le virus en voie d’extinction, d’autres craignaient une deuxième vague à la rentrée.
Quelques rares pays, au prix de mesures drastiques (3), semblent avoir gardé ou retrouvé un bon contrôle de l’épidémie. Presque partout ailleurs, le virus est demeuré rampant. Le moindre souffle pouvait rallumer les braises chaudes. La deuxième vague, tant redoutée, allait durement frapper dès le mois de septembre. L’ampleur et la rapidité de sa reprise surprirent à nouveau la communauté scientifique.
Des mesures progressives
Fort de (ou malgré) l’expérience acquise au cours des mois passés, la confiance demeurait. Le sentiment, exprimé au plus haut niveau de l’Etat, était qu’avec des mesures graduées en fonction de la progression pandémique, il devrait être possible d’éviter un second confinement généralisé.
Le panel des différentes mesures, en dehors du recours au confinement, était devenu large :
- Limitation du nombre de présents (espacement minimum) et fermeture progressive des lieux clos quand les personnes sont en contacts rapprochés.
- Discothèques, salles de sport, musées, théâtres et cinémas, bars, restaurants, lieux de culte, stades ;
- Restrictions puis interdiction progressive de nombreux rassemblements publics, de cérémonies ou de larges réunions privées.
- Evolution des mesures touchant les plus jeunes en fonction de la transmission virale et de l’impact sur la vie économique (crèches, écoles, collèges, lycées, établissements d’enseignements supérieurs, pratique sportive scolaire) ;
- Couvre-feu dans les grandes villes.
Dans le même temps, les progrès thérapeutiques ont permis de réduire la durée d’hospitalisation. Mais aussi d’abaisser le pourcentage de malades admis aux urgences ainsi que le taux de mortalité. Hélas, tout cela s’est avéré grandement insuffisant pour contenir le virus. Il nous est demandé d’apprendre à vivre au quotidien avec le Covid. Cela ne permet pas de le garder sous contrôle.
Un deuxième confinement inévitable
La situation mi-octobre était à nouveau critique. Une fois encore dirigeants et scientifiques n’avaient pas anticipé l’ampleur d’une nouvelle déferlante massive et rapide.
Le taux d’incidence nous a très vite placés en « zone rouge ». En tous points, il a dépassé le seuil d’alerte fixé à 50. Un tel seuil signifie qu’au cours une semaine, 50 personnes sur 100 000 contractent le virus. Comment se traduit un tel seuil au niveau de la France.
Considérons la population des plus de six ans (âge retenu pour le port du masque), en partant du principe que les jeunes enfants seraient peu contagieux ou faiblement transmetteurs du virus (ce qui reste à prouver). Nous obtenons un vaste ensemble de plus de 62 millions de personnes. Avec un taux de 50, appliqué à ce groupe, ce serait plus de 30 000 personnes qui seraient contaminées chaque semaine. L’objectif annoncé par le Président de la République est de ne pas dépasser 5 000 cas quotidiens. Ceci dans le but de pouvoir tracer et isoler chaque cas afin de contrôler les vecteurs de contamination.
En France, officiellement, le taux d’incidence national était de moins de 100 (96,2) la semaine du 7 septembre. Il était de 497 la semaine du 26 octobre. Bien entendu, on ne mesure que ce que l’on teste. Ceci explique cependant bien le niveau élevé de cas quotidiens qui étaient annoncés chaque soir par Santé publique France (4).
Une situation difficile à contrôler
Stabiliser le taux sous un seuil de 50 semble très difficile à atteindre dans la durée à l’échelle du pays. Au moindre relâchement le taux repart à la hausse. En l’absence d’un vaccin, des foyers (clusters) subsisteront. La contamination aura tôt fait de reprendre dans le pays.
La sévérité des mesures de restriction reflète donc l’évolution du taux de contamination. Seules des mesures très restrictives pourraient permettre une maitrise de la pandémie. De telles restrictions, pouvant être considérées comme une grave atteinte aux libertés individuelles. Elles seraient vraisemblablement jugées incompatibles avec nos principes démocratiques. Le Conseil Constitutionnel l’énonce régulièrement dans ses décisions et censures.
La dictature des chiffres
Quelles options sont dès lors possibles pour les dirigeants quand le virus circule activement sur le territoire et que chaque jour 30, 40 ou 50 000 nouveaux cas sont détectés ? Les épidémiologistes indiquent qu’il faudrait multiplier ces chiffres par deux ou trois pour s’approcher de la situation réelle du pays. L’inquiétude gagne tout le pays. Nous aurions ainsi au plus fort de la crise atteint un taux d’incidence proche de 1 000. C’était donc 1% de notre population qui contractait le virus chaque semaine (taux égalés ou dépassés en différentes parties du monde).
Quand le taux de reproduction, le fameux Ro, accélère pour devenir supérieur à un, les 50 000 cas déclarés un jour peuvent devenir 100 000 en peu de temps. Quand chaque personne infectée en contamine à son tour plus d’une, alors que les hôpitaux sont au bord de l’asphyxie, quelle autre solution que le retour au confinement ? Sauf décider de faire fi de la volonté politique, clairement exprimée d’avoir à exercer un tri. Cela conduirait à ne pas accepter tous les nouveaux entrants, option rejetée par le Président de la République. Nous avons, par ailleurs, pu exprimer nos doutes sur l’absence de sélection (5).
Létalité attendue
Comment gérer le nombre de cas quand :
- 8% des malades seront hospitalisés,
- 19% des personnes hospitalisées iront en réanimation,
- 27% des patients admis en réanimation décèderont.
Alors reprenons à ce sujet les déclarations du Premier ministre, Jean Castex, dans sa présentation du 12 novembre dernier. Sur 100 patients atteints du Covid-19, « 8 vont développer des formes symptomatiques plus sévères avec un recours nécessaire à l’hôpital, 2 feront des formes particulièrement graves qui nécessitent des soins spécifiques dans les services de soins critiques réanimatoires ».
Notons que ces chiffres donnent un taux de létalité de 0.41%. Le consensus a longtemps été de 0.6% avec aujourd’hui une tendance à la baisse (plus grand nombre de cas asymptomatiques qu’estimés ainsi qu’une meilleure prise en charge des malades). Si l’on accepte que le nombre de cas totaux s’établît à un niveau deux à trois fois supérieur aux cas déclarés, la létalité pourrait être inférieure à 0.2%. Un taux qui serait donc pour le Covid-19 le double de celui de la grippe saisonnière. C’est ce constat qui fait aussi dire à certains, devant l’impact économique et social des mesures prises, « tout ça, pour ça » (6).
Le vaccin, unique planche de salut
Rien ne permet d’espérer un retour à la vie normale avant la mise à disposition, pour un large public, d’un vaccin efficace. L’immunité par contamination collective, tentée en Suède, semble difficile à atteindre, surtout dans le cadre d’un virus saisonnier. Nous sourions à la traduction anglaise du terme « herd immunity », sachant que le premier sens du mot « herd » est troupeau ou cheptel. Pauvre bétail humain, qui découvre à son tour ce qu’est la vie, parqué dans d’étroits enclos.
Tant que nous ne disposerons pas d’un vaccin, il nous faudra bien apprendre, tant bien que mal, à vivre avec le virus. Cela veut dire une succession de vagues. Qui se traduisent pas des périodes de confinements, accompagnées de tristes cortèges de misère économique et sociale.
La seule immunité collective efficace se trouve donc dans la mise au point d’un vaccin et sa diffusion massive dans la population. Le débat sur l’acceptation d’un pourcentage suffisant de la population (60%) pour recevoir un tel vaccin nous semble quelque peu surréaliste. Présentée comme l’unique solution pour préserver la vie des plus fragiles, jusqu’où les principes de liberté ou d’égoïsme individuel devront être préservés aux dépens de l’intérêt collectif ?
L’égoïsme et l’intérêt collectif nous renvoient à la question du déploiement du vaccin, des cibles prioritaires et de l’organisation des circuits logistiques. Espérons qu’au plan national le centralisme jacobin ne ralentira pas le programme de vaccination rapide d’une très large population. Encore faudra-t-il que les vaccins parviennent aux différents pays et aux cibles prioritaires de manière moins chaotique que l’approvisionnement en masques au printemps dernier. Nous craignions de voir apparaitre des comportements peu dignes. Que ce soit au niveau des individus (marché noir et détournement des masques destinés aux soignants) que des nations (marchandage des masques sur le tarmac).
Conclure sur une note d’Espoir
Seule une large couverture vaccinale de la population permettra d’échapper à l’alternance de mesures plus ou moins restrictives au gré de la progression du virus. C’est certainement la raison pour laquelle la moindre bonne nouvelle dans la course aux vaccins est surmédiatisée et se traduit par des envolées boursières. Cela a été bien entendu le cas avec l’annonce des laboratoires Pfeizer / BioNTech et Moderna. La phase 3 n’est pas finalisée. L’emploi du futur et du conditionnel s’impose encore. Les places boursières ont réagi comme si elles avaient acquis la certitude que le virus allait enfin être terrassé – malgré toutes les incertitudes et les difficultés.
Faut-il dès lors souffler le chaud et le froid? Comme a pu le faire le Premier ministre (12/11). « Une certitude : les rassemblements festifs, familiaux dans des salles de fêtes ne pourront pas reprendre avant longtemps » ? Préférons les propos d’une source autorisée en la matière, l’Agence de Santé Européenne. Elle prévoit de donner un avis favorable à un premier vaccin d’ici la fin de l’année 2020, en vue d’une distribution à partir de janvier. Plus encourageant que « vivre sur le temps long avec le virus » du Premier ministre.
Marc SEVESTRE
(1) 1/10 ; 1/20 ; 1/100. Quelle occurrence pour une pandémie majeure ? (22/02/2020). Errare Humanum Est (15/03/2020). Covid-19, Episode 2, le retour en force (24/06/2020). Macro(n) Fiction Scénario pour un Reconfinement (01/10/2020)
(2) Après le premier cas détecté à Bordeaux le 24 janvier. Après la mort d’un touriste chinois dans un hôpital parisien le 14 février. Le premier confinement débuta le 17 mars, pour se terminer après deux renouvellements le 11 mai.
(3) L’Australie, la Nouvelle-Zélande, Singapour, la Corée du Sud et, tristement ironique pour certains, la Chine.
(4) 62 M / 100 000 X 500 / 7, soit une moyenne de 44 000 cas journaliers.
(5) Les Chiffres sont des innocents (10/11/2020). La réanimation est une épreuve très difficile à supporter. Tous les patients âgés en EHPAD et trop affaiblis sont-ils transférés ? Le nombre de décès du Covid-19 dans les EHPAD tendrait à prouver le contraire.
(6) Voir note 2 supra.