Il est couramment admis que dans les pays les plus développés, l’allongement de la durée de vie depuis l’après-guerre progresse d’un trimestre par année. Mais certains pays se distinguent par une espérance de vie plus longue que celle de pays disposant d’un niveau de vie comparable. Il s’agit en premier lieu du Japon, suivi par Singapour, l’Australie, le Canada. La France figure aussi dans le peloton de tête. Comment s’expliquent de telles performances ? A partir de l’exemple japonais, l’on peut s’interroger sur les secrets d’une telle longévité. Mais surtout mesurer l’impact du vieillissement de la population sur l’économie et la société des pays, dont la France, dans lesquels le poids des séniors est très important.
Un trimestre de gagné chaque année
Les livres d’histoire présentent le règne de Louis XIV, comme très long. Le roi qui monte sur le trône à la mort de son père, à l’âge de 5 ans (13 ans officiellement à sa « majorité »), mais surtout meurt en 1715. A la veille de ses 77 ans. Age considéré comme très avancé, empressons-nous d’ajouter, pour l’époque. De nos jours, ceci serait considéré comme un âge relativement jeune, si on le compare aux quatre-vingt-treize ans (en 2019) de la reine Elisabeth II d’Angleterre. Et aux bientôt quatre-vingt-trois ans du pape François.
Nos contemporains souffrent fort heureusement moins des différents maux dont était affligé le Roi-Soleil. L’espérance de vie moyenne d’une fille qui naît aujourd’hui en France est de plus de quatre-vingt-huit ans. Donc nombreuses seront celles qui dépasseront les cent ans et rejoindront les 200 000 centenaires qui peupleront la France à partir des années 2060. Même si un écart de vie de dix-sept années sépare les pays les plus avancés, des pays les plus pauvres, les pays de l’OCDE ont gagné en moyenne dix ans d’espérance de vie à la naissance depuis 1970.
Le vieillissement de la Population, l’exemple du Japon
Le vieillissement de la population est donc un facteur majeur et très visible sur la pyramide des âges.
Au Japon, plus de 27% de la population est âgée de 65 ans et plus. En ajoutant le faible taux de natalité (1.3 enfant par femme), on mesure les effets majeurs au niveau de la population. Elle décroît depuis 2011 et passera de 127 millions aujourd’hui à moins de 100 millions en 2050.
On dit de l’ile d’Okinawa que c’est l’ile aux centenaires. Ou plus près de nous, l’ile grecque d’Ikaria : un tiers des 8400 habitants a plus de 90 ans. Comment expliquer cette très grande longévité ? Dans les deux cas l’observance de quelques grands principes de base d’une vie saine :
- Respect des aînés, solidarité entre les habitants, philosophie positive de la vie,
- Régime alimentaire sain (contrôle des calories consommées, peu de viande, peu d’alcool, des légumes, du poisson),
- Activité physique.
Le Japon dans son ensemble a dû adapter sa société au vieillissement de sa population. Livres, magazines, horaires de train, dictionnaires notamment sont systématiquement publiés en caractères normaux et agrandis. Aux principaux carrefours, un bouton permet aux piétons de demander plus de temps pour traverser. On trouve des défibrillateurs dans chaque hôtel ou grand magasin. Les bâtiments sont conçus pour accueillir des fauteuils roulants. Depuis 1966, le troisième lundi de septembre est officiellement férié pour la journée nationale du respect envers les gens âgés.
Dans la liste des dix premiers pays pour l’espérance de vie, on ne retrouve que des pays riches au niveau de vie élevé, assez égalitaires et disposant d’un régime de santé avancé avec un accès facile aux soins. Ce sont ainsi des facteurs exogènes qui contribuent à favoriser la longévité des pays riches plus que des facteurs d’origines génétiques.
L’Europe est concernée par le vieillissement de la population
Nous assistons en Allemagne à un vieillissement de la population. Et aussi dans de nombreux autres pays développés (Italie, Espagne, Suisse …). Mais pas aussi significatif qu’au Japon dont la pyramide des âges est marquée par un phénomène d’inversion. La base est moins importante que le sommet. C’est-à-dire que de manière durable, le solde naturel est négatif. Le nombre de naissances est inférieur à celui des décès. De 83 millions de nos jours, l’Allemagne ne comptera plus que 71 millions d’habitants en 2060.
Elle sera rattrapée par la France, qui grâce à un taux de fécondité relativement élevé (de 1.87 en 2018 en baisse régulière depuis 2012, où il était supérieur à 2), un important flux migratoire et un vieillissement continu de ses citoyens, verra sa population grandir. Elle passera de 65.5 millions d’habitants de nos jours à 71 millions en 2050. La France sera en voie donc de doubler l’Allemagne au cours de la décennie des années 2050.
Moins que les 27% du Japon, l’Allemagne compte « seulement » 21% de plus de 65 ans. En France ce taux est de 18%. Contrairement au Japon, en France, et dans une moindre mesure en Allemagne, l’immigration joue un rôle important de modérateur sur le vieillissement de la population. L’immigration modère la baisse de la fécondité (population immigrée plus jeune avec un taux de natalité plus important).
En 2050 la France devrait compter :
- 20 millions de personnes de plus de 60 ans (soit 8.6 millions de plus qu’aujourd’hui),
- Dont 12 millions de plus de 75 ans.
Au total, la proportion des personnes de plus de 60 ans atteint 28.4% en Italie qui se situe au-dessus de la moyenne européenne (25.6%) et de la France (25.3%).
Le revers de la médaille
Lorsque l’on cherche à mesurer l’impact que peut avoir l’allongement de la durée de vie le premier point qui vient à l’esprit est le financement des régimes de retraite. Les dépenses liées aux frais de soins et d’accueil des aînés représentent un coût très élevé pour la collectivité. Nous nous poserons la question du dynamisme économique et des capacités d’adaptation et de changements d’une population de plus en plus âgée, avec dans certains cas des effectifs salariés en recul.
Un départ tardif à la retraite… une réalité au Japon
Avec une longévité si exceptionnelle, le financement de la retraite pèse très lourd sur le budget de l’Etat japonais. En fait, le champion du nombre d’années à la retraite, contrairement à ce que les statistiques sur la durée de vie pourraient laisser croire, est la France. En effet, au Japon, l’âge effectif de départ à la retraite est, en 2017, de 70.2 ans pour les hommes et de 68.8 ans pour les femmes (contre 60.3 ans pour les femmes et 60 ans pour les hommes en France). Ceci fait que ce sont 27.6 années que les femmes françaises passent à la retraite (21.1 ans au Japon) et 23.6 années pour les hommes (15.5 années au Japon). A titre de comparaison, dans l’OCDE, le nombre d’années moyen à la retraite est de 22.5 années pour les femmes et de 18.1 années pour les hommes.
Avec un régime par répartition (les actifs payent pour les retraités), un niveau de chômage élevé et un taux d’emploi de seulement 31% pour les 60-64 ans (contre une moyenne de 48% pour l’OCDE), le problème du financement de la retraite est bien plus marqué en France que dans d’autres pays à forte longévité, au premier rang desquels le Japon. Ce pays est très chiche en matière de pension de retraite et il encourage les fonctionnaires à rester à la tâche jusqu’à 80 ans, moyennant une gratification de leurs pensions.
Un départ tardif à la retraite… un débat en France
En France, selon une récente interview de Claude Tendil, président de la Commission Protection Sociale du MEDEF (Argus de l’Assurance 31/05/2019), « l’espérance de vie à la retraite était de treize ans en 1981, elle est de vingt-sept ans aujourd’hui ! ». Alors pour lui pas de débat, il faut reculer l’âge légal du départ à la retraite. Dans un régime de retraite par répartition, cet allongement, bien plus que le nombre de retraités, est la véritable cause du déficit structurel de nos régimes de retraite. Nous sommes passés de 6 cotisants pour un retraité en 1945 à 1.4 cotisant pour un retraité à la fin 2016.
Certains objecteront que reculer l’âge du départ à la retraite, dans un pays qui connaît un faible taux d’activité des plus âgés, c’est un moyen de réduire les pensions moyennes servies. La retraite est en effet établie sur le salaire moyen perçu au cours des meilleures vingt-cinq années d’une carrière. Normalement le salaire annuel progresse avec l’ancienneté. Donc si les seniors se retrouvent au chômage (une pratique que l’on retrouve couramment dans les grands groupes qui tendent à remplacer leurs salariés les plus âgés par des plus jeunes), la moyenne des meilleures années est à la baisse.
La France accuse un retard sur la réforme de l’âge légal du départ à la retraite :
- 62 ans en France
- 63.5 ans en Espagne,
- 64 en moyenne dans l’Union Européenne,
- 65 ans en Allemagne,
- 66 ans en Suède.
L’âge de départ permettant l’équilibre du régime de retraite (cotisations versées équivalentes aux pensions versées) est de 64 ans. C’est ce qui est à l’origine de la réflexion gouvernementale sur le mécanisme de décote-surcote. L’objectif est d’inciter les affiliés à attendre l’âge d’équilibre pour solder leurs retraites.
Le faible niveau des pensions de retraite
Le Japon n’est pas très généreux avec ses retraités. La retraite de base de la sécurité sociale au Japon est de 410 euros par mois contre 1100 euros en France. Il n’est pas rare de voir des personnes très âgées, accomplir des tâches physiquement contraignantes. La seule motivation est de faire face à des fins de mois difficiles. Le travail pour ces tâches ingrates est facile à trouver, compte tenu d’une faible immigration, d’un taux de chômage très bas, de seulement 2.5% en mars 2019 (lié à la pyramide des âges inversée, qui se traduit par le non-remplacement des départs à la retraite par de nouveaux entrants sur le marché du travail) et d’une assez faible productivité moyenne des travailleurs japonais (qui accusent un taux de productivité horaire de 30% de moins qu’aux Etats-Unis). Les seniors offrent ainsi un réservoir de main d’œuvre fort utile.
Le vieillissement de la population : un coût élevé pour la société
Malgré la solidarité intergénérationnelle au sein de la société japonaise, le soutien des proches aidants atteint rapidement ses limites :
- Faible nombre d’enfants pour soutenir des parents âgés,
- Taille restreinte des habitations pour accueillir un proche,
- Temps de transport très long dans les grandes agglomérations (avec 37 millions d’habitants, Tokyo est la plus grande ville du monde).
La forte croissance de la demande en matière de services à la personne, un bas taux de chômage et une faible population immigrée génèrent une pénurie critique de travailleurs dans le secteur de l’aide à la personne. Avec un important accroissement du nombre de personnes dépendantes, il y a un manque criant d’aidants professionnels. Ce n’est donc pas un hasard si de nombreuses applications liées à l’internet des objets ciblent les seniors. Ainsi les robots domestiques sont mis à contribution pour pallier le manque de personnel. Triste société dans laquelle un robot humanoïde vient prendre la place de la personne de compagnie !
La santé des seniors représente une part importante de la consommation de soins et de biens médicaux (CSBM). Au total le secteur de la santé absorbe en France 11.5% du PIB. Cela nous place devant la Suède et le Japon (10.8%), mais derrière les USA (17.1%) et la Suisse. En France les dépenses de santé des seniors sont trois fois plus élevées que celles des 20 -40 ans. En 2017, le total de la CSBM approche 200 milliards d’euros. 5% des consommateurs (en très grande partie des personnes de plus de soixante ans) représentent 40% de ce total.
Avec le vieillissement de la population, les infrastructures doivent s’adapter. Entre 2010 et 2040, le nombre de résidents en EHPAD devrait augmenter de près de 400 000 personnes. Il faut pouvoir accueillir le nombre croissant de personnes :
- Dépendantes (1.2 million en 2010 pour 2.3 millions en 2060),
- Souffrant de maladies neurodégénératives (225 000 nouveaux cas de la maladie d’Alzheimer chaque année et qui touche 18% des plus de 75 ans).
Une triste anecdote
Anecdotique, mais révélateur du mal-être de nombre de seniors, une étude du Financial Times montre que si le Japon connaît un très faible taux de délinquance, plus d’un tiers des (tout petits) vols à l’étalage sont commis par les plus de soixante ans. Vu le faible niveau du revenu moyen des retraités japonais (6100 euros de pensions par an dans un pays où la vie est chère), la prison – qui est loin d’être un palace comme le montre l’actualité récente – offre pour certains séniors un confort supérieur à ce qu’ils connaissent en liberté (40% des récidivistes seniors ont commis au moins six fois le même délit), ainsi qu’un lien social. Un retraité qui vole un objet à moins de huit euros et qui fait l’intégralité de sa peine coûte 125 000 euros à l’état japonais. Il coûtera ainsi à l’Etat plus de vingt années d’une retraite moyenne.
Dynamisme économique et adaptation
Quel est l’avenir d’un pays qui ferme des écoles maternelles pour ouvrir des EHPAD ? Quelles perspectives de croissance économique, un pays vieillissant ou pire en déclin démographique peut-il avoir ? Comment un pays de « vieux » peut-il maintenir son rang dans un monde qui se transforme toujours plus rapidement (moins de jeunes, c’est moins d’étudiants ; moins d’étudiants, c’est moins de chercheurs) ? Quelle envie pour les jeunes générations (et les nouveaux entrepreneurs) de rester dans un pays dont la majeure partie des richesses est consacrée au troisième et au quatrième âge (des seniors de plus de quatre fois vingt ans) ?
Quel dynamisme peut être celui d’un pays qui voit le recul du nombre de ses moins de vingt ans, qui ne représenteront que 22% de sa population en 2060 (16.3 millions) contre 24.5% de nos jours ? Quel peut être l’attrait d’une société qui voit le nombre de ses soixante ans et plus croître de 42% entre 2016 et 2060, pour passer de 16.3 millions à 23.6 millions ? Comment financer la croissance et la prise de risques quand 60% de l’épargne se trouve dans les mains des seniors par nature précautionneux ?
Les trends démographiques sont longs et fiables. Ces questions ne sont donc nullement théoriques et découlent naturellement de la situation démographique de la France.
Vieillissement de la population : un naufrage ?
Ce que la médecine salue comme une contribution majeure à l’humanité, l’allongement de la durée de la vie, pose un grave problème en matière de vieillissement de la population. Perte de dynamisme économique, coût social élevé, gestion problématique de la fin de vie, la croissance rapide du quatrième âge si elle traduit bien le reflet des progrès technologiques est également cause de fortes tensions. A vouloir repousser toujours plus loin les limites de la durée de vie, « l’homo deus » se joue des limites de la nature humaine. Il oublie que nous ne sommes que des « homo sapiens ». Le mythe de la vie éternelle touche à l’âme et pas à l’enveloppe charnelle. Comme nous le rappelle Jean de la Fontaine « la vieillesse est impitoyable ». Pire encore, pour Victor Hugo « la vieillesse est un naufrage ».
Marc SEVESTRE